Bas les masques !

Le ministre l’a claironné sur tous les toits : « nous sommes prêts » ! Mais qui était prêt·e ? Ici, dans le Mantois, loin des plateaux télés où sont distillées à longueur de journée les fables ministérielles, chacun et chacune peut témoigner de la responsabilité de J.-M. Blanquer dans l’impré­pa­ra­tion totale à laquelle nous avons été confronté·es. Avant-hier « jamais les écoles ne fermeront », hier « tout est prêt », aujourd’hui «  seu­lement une poignée d’élèves ont décroché », et demain ?
Au lieu de laisser aux personnels, aux élèves, aux familles, le temps d’anticiper, de se coordonner – et surtout de se protéger – nous voilà traité·es en piétaille éducative de la « nation apprenante ». C’est par les médias que nous découvrons, jour après jour, les dernières élucubrations du général Blanquer, contredites dès le lendemain. Et peu importent les conséquences en termes de renforcement des inégalités sociales, de souffrances, de culpa­bi­li­sa­tion : lui parade, mais c’est à nous de monter au front, de travailler, de télé-enseigner, d’exiger, de corriger, d’évaluer, de surveiller, de dénoncer, de boucler le programme… en marche ou crève !
Le ministre confond continuité pédagogique et téléréalité ! À travers nos témoignages, le partage de pratiques, la coordination et la solidarité entre les personnels, les familles et les élèves, nous devons nous organiser pour reprendre la main, dénoncer l’absurdité, la brutalité des injonctions hiérarchiques et construire ensemble, dès à présent, une éducation socialement égalitaire et collectivement émancipatrice.

Prêts, les personnels de direction…
Dans le Mantois, lorsque les chef·fes d’établissement ne brillaient pas par leur absence ou leur mol accompagnement des équipes en ces premières semaines de « continuité pédagogique », elles et ils entamaient une politique d’ingérence jamais vue, parfois même avec l’appui des personnels d’inspection : intrusion dans les cahiers de texte, les dossiers de cours, ou les classes virtuelles des enseignant·es ; commentaires sur le travail donné ; rappel à l’ordre et culpabilisation des personnels pas assez «  performant·es » ; missions hors cadres, etc. Par excès de zèle en l’honneur de leur carrière et de leur ministre, ces chef·fes n’hésitent donc pas à piétiner la liberté pédagogique et à malmener les personnels.
Prêt·es pour l’épuisement ?
À défaut d’assurer, la communication gouvernementale tente de rassurer, mais derrière ces mots qui mettent en récit une organisation millimétrée, la situation concrète vécue par la communauté éducative est toute autre. Les équipes enseignantes ont été contraintes de trouver et mettre en place dans l’urgence des supports informatiques permettant de maintenir le lien avec les familles – jusqu’alors inexistants dans le premier degré -, de gérer la saturation des serveurs informatiques, les obligeant à devoir poster le travail pendant la nuit. Certain·es collègues du Mantois, soutenu·es par nos supérieur·es hiérarchiques, se sont retrouvé·es à assurer ladite continuité en distribuant le travail au sein des quartiers, au mépris du danger occasionné par le contournement des règles de confinement.
Pour les familles et les élèves, ce fameux concept pèse lourd : ils déplorent une explosion de la charge de travail. La pression qui repose sur leurs épaules devient de plus en plus difficile à supporter. Faute d’explications ou de directives claires concernant le travail à distance, face à l’isolement, aux sollicitations diverses et aux nombreuses difficultés au sein de la commu­nau­té éducative ou des familles, chacun·e s’est débrouillé avec ses propres outils, ses propres compétences et surtout limites. Mais aujourd’hui, tous·tes sont au bord de l’épuisement.

Prêt·es à renforcer les inégalités ?
Autre fait saillant en ce contexte de confinement : l’indifférence froide avec laquelle sont considérées une fois de plus les inégalités entre élèves, elles-mêmes miroir souvent fidèle des inégalités sociales. Derrière les formules à la sauce start-up de « nation apprenante », peu de cas est fait des conditions réservées aux dit·es apprenant·es à distance. Dans le Mantois, les directions se cachent derrière un prêt de matériel (tablettes) souvent nettement insuf­fi­sant, laissant en réalité les élèves seul·es avec leurs difficultés. Seul·es, avec bien souvent des moyens matériels inadaptés à des apprentissages sereins : les statistiques dans nos établissements nous montrent que le principal outil des élèves pour récupérer les travaux en ligne est… leur smartphone !). Et lorsque ordinateur il y a, comment assurer le travail au quotidien, lorsque le matériel doit être partagé entre plusieurs enfants, voire avec des parents qui télétravaillent ? Seul·es, enfin, à devoir se préoccuper avant tout de travailler, et ce dans des conditions de logement parfois difficiles comme nous les connaissons ici, accentuées par le contexte de confinement.

Prêt·es pour les attaques contre les droits et les missions des personnels ?
L’administration aime utiliser le chantage à la « mission de service public » bien faite pour imposer aux personnels des tâches qui ne relèvent pas de leurs obligations de service. La « continuité pédagogique » sous confinement devient l’argument massue pour exploser des statuts déjà bien atta­qués. Par exemple, l’accueil d’enfants de soignants a été demandé à des personnels n’ayant pas de travail présentiel à fournir auprès des élèves (directeur·ices déchargé·es, ZIL, etc.) ; certain·es AESH ont été invité·es à remplacer du personnel dans les instituts accueillant des personnes lourdement handicapées (sans avoir aucune formation adéquate) ; des élèves d’écoles privées hors contrat (la Boussole à Mantes) ont dû être accueilli·es par l’école publique… De plus, pour le télétravail – mis en place hors de tout cadre légal – les outils numériques défaillants et inadaptés doivent être compensés par l’utilisation du matériel personnel des travailleur·euses de l’éducation, et par le recours à des outils en contradiction avec le règlement RGPD (Facebook…). Ainsi des AED, avec des salaires indécents, se voient sommé·es d’appeler toutes les familles de différents collèges avec leur téléphone particulier ; des AVS/AESH chargé·es d’effectuer les aménagements des cours que les collègues déposent sur les espaces collaboratifs de l’ENT pour les élèves en Ulis ; et les prêts de matériel informatique par l’établissement – quand ils sont mis en place – sont bien insuffisants.

La réalité est que nous n’étions vraiment pas prêt·es
Il nous a manqué du temps pour préparer cette période de confinement, en équipe (pour se coordonner, s’organiser, réfléchir aux approches les plus pertinentes), et avec nos élèves (pour les accompagner dans la mise en route et l’appropriation de ces nouvelles façons de travailler). Le résultat de cette impréparation : épuisement et culpabilisation des personnels, des élèves et des familles, décrochage et aggravation des inégalités dans l’accès à l’éducation pour tous et toutes.

Le seul qui était prêt, c’était le ministre !
Prêt à nous tomber dessus comme à son habitude pour nous abrutir d’injonctions contradictoires, prêt à sacrifier notre santé, à sacrifier les élèves qui n’ont pas la chance d’avoir de bonnes conditions d’études au sein de leur lieu de vie. Prêt à profiter de l’aubaine pour brader des pans entiers de l’éducation au secteur marchand, qui était lui aussi prêt à s’en emparer avidement.
De nouveau, ce sont les personnels qui devront reconstruire la relation pédagogique après ces semaines de confinement qui auront malmené les un·es et les autres : reconstruire les relations de confiance, retisser le lien avec les élèves écrasé·es et gommé·es par la « continuité pédagogique », retrouver, avec les jeunes et les familles, le goût de l’école, le plaisir d’apprendre.
Les personnels de l’éducation du Mantois se mobilisent d’ores et déjà pour organiser, avec les familles, une résistance à la souffrance et au rythme imposés par l’institution, et ils/elles n’attendront pas les consignes ministérielles pour se lancer dans le difficile labeur de préparer l’après-confinement.
Car, du ministre, il n’est rien à attendre… ■

L’Assemblée Générale Éducation du Mantois, réunie les 6 et 7 avril 2020