Après l’agression : faits et témoignages

Le lycée Rostand de Mantes-la-Jolie est toujours en "droit de retrait" mis à jour le vendredi 6 mars 2009

Mise à jour du 06/03/09 : Tout le jeudi, les discussions et le travail sur les conditions de reprise possibles se sont poursuivies. Les points internes ont bien avancé. Sur les demandes en surveillants, l’IA a fini par concéder en fin de journée 1 poste et demi d’assistant d’éducation, ce qui ne correspond même pas à la surveillance de deux salles pour les élèves en continu. Les choses bougent donc enfin mais il faut faire mieux. 60 ont voté contre la reprise, 13 pour. Et les enseignants continuent à invoquer l’exercice de leur droit de retrait, que le Recteur pourrait bien-sûr lever en prenant la responsabilité de leur donner un ordre de reprise garantissant que les conditions de sécurité et de sérénité qu’il a lui-même souhaitées sont désormais réunies. Tous les détails sur le blog des profs : http://blogrostandmantes.over-blog.com


Nous rendant compte de la situation au lycée Rostand de Mantes où nous avons pas mal d’adhérents, et dans laquelle de nombreux collègues d’autres établissement peuvent reconnaître des échos de leur propre situation.

Nous tenons aussi à diffuser des extraits de textes rédigés par notre collègue agressée au cours de ses heures d’insomnie : ils sont posés, lucides, et révélateurs.

Pour jeudi 5 mars, après de nouvelles discussions et une matinée de travail sur les problèmes à résoudre, un vote très majoritaire des enseignants (à bulletin secret) a constaté que les conditions pour une reprise sure et sereine n’étaient toujours pas réunies (56 contre la reprise, 7 pour, 5 abstentions). Ils assureront les conseils de classe mais pas les cours normaux. Ils veulent qu’on prenne leurs demandes au sérieux pour que les élèves puissent rentrer dans un lycée où des choses ont changé.

Un blog d’information directe a été créé pour les familles, où on peut trouver des dernières nouvelles de la situation :

http://blogrostandmantes.over-blog.com/

"Droit de retrait" à la rentrée

Suite à l’agression de notre collègue le vendredi 13 février 2009 (juste avant les vacances), les cours n’ont pas repris normalement ce lundi au lycée Rostand : les élèves ont été accueillis le matin pour parler, avoir des réponses, discuter, mais ils n’ont pas eu cours normal ensuite : les personnels, exerçant leur "droit de retrait", demandaient que des changements précis soient immédiatement mis en place pour que tout le monde sente - élèves, familles et personnels - puissent constater que les données en terme de sécurité et de fonctionnement avaient avancé.

L’après-midi a été banalisée pour qu’ils puissent décider collectivement des mesures d’urgence à engager. Notre collègue agressée, en bonne santé mais très éprouvée moralement, a néanmoins eu le courage de revenir auprès des collègues pour participer à l’échange. Pendant les vacances, elle a rédigé des textes pour se libérer des pensées qui l’obsédaient. Toujours très attachée au lycée, à son métier, à ses élèves - les quelques cas comme ceux à l’origine de son agression étant une exception - elle a permis à tous de réfléchir ce qui dans notre quotidien s’était banalisé.

Ses collègues ont été impressionnés par la justesse et la lucidité du regard qu’elle portait rétrospectivement sur l’expérience qu’elle avait vécue, sans rancœur mais avec une très forte volonté que les choses changent et qu’on ne laisse pas nos établissements se déliter sous nos yeux, dans un contexte de misère sociale croissante et de contraintes insupportables accumulées par nos autorités sur nous.

Nous citons des extraits :

Extraits de textes rédigés par la collègue agressée

"Pendant huit semaines, [les élèves d’une classe d’insertion] n’ont pas eu de professeur en anglais. Lorsque notre collègue est arrivée, les recommandations qui lui ont été faites par mes collègues professeurs et C.P.E. ont été les suivantes : « surtout, essaie de les garder assis... fais en sorte qu’ils ne s’approchent pas trop des fenêtres, ils crient sinon, et on ne sait jamais ce qu’il pourrait arriver... en cas de conflit, tu restes derrière ton bureau, tu ne les laisses pas t’approcher... et surtout, tu gardes ton portable allumé pour pouvoir appeler l’administration en cas de problème... il y aura un surveillant dans le couloir pour tes premières heures de cours de toute façon, et puis, n’hésite pas à appeler un collègue à l’aide sinon... » La jeune femme mutée sur le poste n’était pas rassurée avant de monter en salle, mais honnêtement, qui l’aurait été ?"

Pour en avoir parlé autour de moi, il semblerait que les recommandations qui lui ont été faites sont exactement celles qui sont données au personnel infirmier en hôpital psychiatrique. Or, il s’avère que certains élèves de cette classe ont effectivement des traitements médicamenteux à suivre.

Mes collègues ne sont pas formés pour gérer ce type de problème. Ils n’ont cessé de se réunir pour parler de cette classe, les inspecteurs se sont déplacés à plusieurs reprises pour discuter de leur situation. La conclusion a été la suivante :" « il y a eu un malheureux problème de recrutement en début d’année... » Il est évident que ces élèves devraient être en instituts spécialisés, avec un encadrement bien spécifique et du personnel formé à cela... mais il n’y a pas de place, semble-t-il... Alors, tant pis, on fait avec. On a fini par dire à mes collègues de réduire leurs exigences au maximum, d’oublier le programme de telle classe et de passer à un niveau C.E.1 - C.E.2 en français, par exemple... Il est clair que ces élèves n’auront pas leur examen, « mais si en fin de terminale de cette classe ils savent écrire leurs noms et prénoms, ça sera déjà bien... » a-t-on dit à mes collègues.

Conclusion profs : Mes collègues sont formidables, et je dirais même, très courageux. Une fois de plus, tout est géré en interne. Mais très honnêtement, cette situation est inadmissible et écœurante, pour nous, les adultes encadrant, mais surtout pour ces élèves qu’on laisse dans des formations qui ne leur conviennent pas sous prétexte qu’il n’y a pas de place ailleurs et que l’on ne peut rien y faire.

Le système éducatif actuel nous force à « faire avec », or nous ne sommes pas formés à gérer ce genre de choses. Notre Ministre de l’Education, Monsieur Darcos, a dit lui-même de faire avec les élèves que nous avions, ou bien de changer de métier. (Le Nouvel Observateur, 2003). Nous continuons donc à travailler, parce que c’est notre « devoir », et que nous n’avons pas d’autres solutions. Mais tout comme moi, mes collègues sont assis sur une bombe, car à tout moment, un accident peut survenir : un professeur agressé, un élève gravement blessé... Si le professeur était la victime, il ferait partie des 60 professeurs agressés chaque jour, ça ferait les faits-divers, on l’oublierait vite... Mais si un élève venait à être blessé ? Que se passerait-il ? Et dans ce cas, qui serait à blâmer ? Le professeur qui aurait « mal surveillé » sa classe ? L’administration qui ne serait pas intervenue plus tôt ? Les inspecteurs qui auraient laissé faire ? Qui serait responsable, dites le moi ? Car il faudrait bien trouver un responsable, c’est comme cela maintenant...

Conclusion élèves : Cela tient de l’anecdote, et on m’en voudra sans doute d’en avoir parlé, mais c’est ce qui fait le plus réagir les gens car cela devient beaucoup plus concret - il a fallu trouver une salle pour les cours d’anglais, assurés en début d’année dans une salle de physique-chimie. Le professeur s’est très vite rendu compte qu’il était impossible de travailler : les élèves étaient très attirés par tout ce qui était à porté de leurs mains. Ils ne cessaient de toucher au matériel et tentaient d’ouvrir les robinets de gaz... Cela devenait très dangereux.

Un accident déjà (une blessure au visage avec un outil lors d’un cours). Il faut savoir que dans l’absolu, ces élèves sont supposés manipuler du matériel technique à l’atelier (de type tronçonneuse...). Mes collègues ont, je l’imagine, là aussi, réduit au maximum leurs exigences et les manipulations.

Conclusion formation : On sous estime le travail de mes collègues. C’est frustrant, mais la frustration fait partie de notre quotidien.
On nous fait faire de la « garderie », c’est vrai, mais ça n’est pas nouveau et il va falloir nous y habituer car les réformes à venir laissent sous entendre que toute exclusion de classe sera interdite...
Plus grave, on jette un total discrédit sur une formation déjà mal perçue par les adultes en général. Et là, très honnêtement, je me pose des questions... Que penseraient les professionnels du métier si par le plus grand des hasards, un élève, obtenait son examen ? Les devoirs de l’année ne sont pas au niveau exigé, certains obtiennent donc des notes tout à fait correctes. Que se passerait-il, si lors d’une délibération de jury, il était décidé, après consultation d’un dossier - qui ne donne que très peu d’informations sur l’élève - de donner l’examen ?

Au quotidien :

Dans cet établissement « calme », à certaines heures de cours, avec des classes dites « difficiles », les professeurs se sont senti forcés de changer de salle de cours afin de se rapprocher des collègues pour se rassurer : on peut appeler le collègue en cas de problème ! Dernièrement, on s’est vu dans l’obligation de dédoubler des classes pour que les professeurs puissent faire cours. Malgré ce dédoublement, les professeurs souhaiteraient la présence de surveillants dans les couloirs car tout n’est pas réglé, loin de là, et la présence d’un adulte supplémentaire est hélas, rassurante. Ce sentiment d’insécurité n’est pas normal ! Et pourtant, les cours continuent...

Dans cet établissement « calme », à certaines heures, les professeurs décident de faire cours avec la porte grande ouverte, même en plein hiver. Il ne fait pourtant pas si chaud que cela dans nos salles de classe. On autorise régulièrement nos élèves à garder leurs manteaux dans certaines salles. Mais il faut savoir que depuis le début de l’année, chaque semaine, des portes de salles sont ouvertes, parfois même cassées, à coups de pieds. Le nouveau « sport » de certains individus est le suivant : hurler dans les couloirs, courir et faire littéralement exploser une porte.

Cela fait partie de notre quotidien. Dans certains de mes cours, les élèves ne s’assoient plus à la table qui se trouve à côté de la porte d’entrée, parce qu’ils ont peur. Le plus grave, je trouve, c’est que l’on s’y habitue, nous, les adultes. Juste avant les vacances de février, la réaction a été vive dans l’une de mes classes qui est en alternance (ces élèves sont une semaine au lycée, une semaine en entreprise). Pour la deuxième ou la troisième fois cette année avec cette classe, la porte a été violemment frappée en plein cours. Ils ont tous sursauté. J’ai à peine réagi. Les élèves se sont indignés face à ce manque de civisme au sein du lycée ; l’un d’entre eux, excédé, s’est même proposé de s’asseoir à côté de la porte afin de pouvoir intervenir rapidement la prochaine fois que cela se passerait.

Moi, j’ai essayé de calmer les esprits et de reprendre mon cours au plus vite. Mais qui est dans le vrai ? Ces élèves qui, parce qu’ils ne passent pas leur vie dans le lycée trouvent cela inadmissible et manifestent le besoin d’en parler parce qu’ils trouvent cela choquant ? Ou le professeur blasé qui veut continuer son cours coûte que coûte parce qu’il pense qu’il n’y a pas d’autre solution ?
Je me suis même vue continuer à faire cours comme si de rien était, allant même jusqu’à dire à mes élèves de se concentrer davantage sur le cours, alors qu’un homme responsable de la maintenance venait constater les dégâts et essayer de réparer la porte de ma salle. Des morceaux de bois avaient volé presque jusqu’à mon bureau au moment de l’impact, les élèves étaient choqués, et je continuais la classe ! Et mes collègues font pareil.

Un vendredi, la porte de la salle B12, salle informatique, a subi le même sort. Je me souviens être sortie de ma salle après avoir entendu des cris et un fracas effrayant dans le couloir. J’ai bien vu un jeune courir, mais c’est allé trop vite. Pour ne pas lâcher mes élèves, j’ai appelé l’administration avec mon portable. Là encore, le responsable de la maintenance est venu colmater la porte comme il le pouvait. Les cours ont continué.

Il y a quelques semaines de ça, un groupe d’élèves a utilisé ce même procédé pour s’introduire dans une salle de classe inoccupée et tout retourner. Des tables et des chaises ont été cassées. Le temps que l’on intervienne, ils étaient partis. Les cours dans les salles autour ont repris normalement. C’est banal. C’est notre quotidien. Je pourrais continuer ainsi, mais je préfère m’arrêter là."

La suite des événements

Très vite des pistes prioritaires se sont dégagées pour que les cours puissent reprendre : une clarification de certaines règles de fonctionnement, certains aménagements matériels, des moyens humains appropriés pour augmenter l’encadrement humain et avoir en permanence une salle de travail et le foyer d’ouverts pour les élèves, et que soit enfin mis fin à la confusion généré par l’annonce depuis 4 mois de la fusion avec le lycée voisin, St Exupéry, sans concertation ni plus de précision depuis.

L’Inspectrice académique adjointe chargée des lycées (Mme Vandrepotte) et une équipe du C2A2E (Proviseurs de Vie scolaire/psychologue pour l’aide aux établissements) sont venus lundi à 15h30. Les collègues lui ont exposé ce qu’ils ressentaient et demandaient, mais les premières propositions - outre du travail à définir sur le long terme "en interne" - n’apportaient pas de changement immédiat : 5 "médiateurs" sous statut de CAE (Contrats d’Accompagnement dans l’Emploi, 20h/semaine pour 500€/mois, ultra-précaires, remis en cause tous les 6 mois sur 2 ans MAXIMUM selon les considérations politiques et économiques ministérielles du moment). Cela couvrait 100h hebdomadaires alors que 120h de surveillance ont été supprimées en 3 ans sans que le lycée ne rétrécisse. 100h, c’est ce qui est nécessaire pour garder ouvert en permanence une salle de travail et le foyer (actuellement très souvent fermés, faute de capacité d’necadrement) ; cela ne met pas 1 surveillant de plus dans les couloirs ou sur les zones non surveillées. Et cerise sur le gâteau : ces moyens sont en fait un "repackaging" de moyens attribués pour la politique de la ville.

Les "médiateurs de vie scolaire"

En effet, "3 à 5 médiateurs de réussite scolaire" dans "un millier d’établissement", c’est exactement ce qui est écrit dans le texte officiel du 27 janvier 2009 pour utiliser les 5000 "contrats aidés" annoncés par le gouvernement pour atteindre "une réduction de 30% des taux d’absentéisme dès la fin de la prochaine année scolaire" ainsi qu’une "baisse de 10% du nombre de décrocheurs"... Pour l’IA, cela devient la seule concession concrète pour répondre aux besoins définis par les profs pour améliorer d’urgence la situation. A part, aussi, de "l’écoute" supplémentaire, qui n’est apparemment due que quand quelqu’un se fait agresser ou quand les personnels imposent de fermer leur lycée pour se concerter sur une fusion décidée sans eux.

Revendications discutées à l’IA

Le compte n’y était pas. Le droit de retrait s’est donc prolongé. Une délégation de représentants des personnels a été invitée à l’IA l’après-midi pour refaire le point sur les revendications npermettant que les conditions aient réellement changé. Pendant ce temps, le C2A2E a entamé des séances de travail en interne pour réfléchir sur les changements possibles à long terme. Sauf que les collègues ne savent toujours pas si dans quelques mois, en septembre, la fusion annoncée avec le lycée voisin, produisant un espace gigantesque de 2500 élèves, sera effective ou non, et si oui, dans quelles conditions...

De 17h30 à 19h, la délégation de profs-CPE a discuté des revendications immédiates. Nous vous en livrons la liste et les réponses données à chacune :

DEMANDE 1 : 5 assistants d’éducation (dont 3 pour ouvrir en permanence le foyer et une salle de travail) Soit 175h avec un statut stable

=> Comme la veille, 5 médiateurs sous statut de CAE (soit 100h avec un statut ultra-précaire à 500€/mois)

DEMANDE 2 : Un volant de HSA (estimé à 70h) pour dédoubler au moins 3 classes difficiles sur les heures de matières générales

=> Rien de plus : les profs peuvent faire des projets et financer ponctuellement des dédoublements ou autres avec les HSE déjà attribuées dans le cadre "lycée de réussite scolaire"

DEMANDE 3 : Un volant de HSE pour organiser de la concertation d’équipe pour régler des problèmes importants (1h/mois sur 9 mois pour 8 profs x 4 classes = 288h)

=> Rien de plus (idem)

DEMANDE 4 : La possibilité de nommer deux professeurs principaux sur une même classe pour certaines classes

=> Rien de plus - ce n’est qu’en "zone sensible" qu’on peut statutairement obtenir cela et nous ne le sommes pas (un label qui manque au lycée !)

DEMANDE 5 : La vérification que les conditions de sécurité matérielles de reprise du travail sont assurées (extincteurs, alarmes incendie, sécurité électrique...)

=> Il faut demander à la Région, propriétaire des locaux (c’est un point qui ne les concerne pas eux à l’IA)

DEMANDE 6 : Une heures de coordination pour toutes les matières

=> Les tâches corrspondantes sont notamment du ressort du chef des travaux (à lui de gérer)

DEMANDE 7 : Une présence plus importante du COP dans l’établissement

=> Cela relève du Recteur, il faut donc lui faire "remonter" (et ils faisaient quoi, là ?!?)

DEMANDE 8 : Une clarification sur la pérennisation du statut ZEP de notre établissement

=> Il n’a pas été remis en cause pour l’année prochaine (ah bon ? Ils avaient mal compris ce qui leur avait été affirmé en décembre, donc ?)

DEMANDE 9 : Un maintien de la structure administrative de direction pour l’année prochaine (pour garder un proviseur à temps complet à proximité)

=> Cela relève de l’intervention du Recteur

DEMANDE 10 : Quelle sécurité pour un établissement de 2500 élèves si fusion il y a ?

=> Cela relève de l’intervention du Recteur

DEMANDE 11 : Quand le Recteur va-t-il venir pour nous répondre sur ces derniers points ?

=> Sa venue est IMMINENTE mais l’IA adjointe ne dispose pas de l’agenda du Recteur

BILAN DES MOYENS NOUVEAUX : Rien de plus que la veille, qui n’était déjà rien de plus que ce qui avait été décidé pour 1000 établissements pour lutter contre le décrochage scolaire dans le cadre de la politique de la ville.

Conclusions

Le sentiment que cela induit : Quoi qu’il arrive les profs sur le terrain doivent suivre leur orbite orbite immuable, que des collègues se fassent taper ou non, que d’autres dorment ou pas la nuit avant de prendre certaines classes, que des fumigènes éclatent devant nos bâtiments ou pas, que la misère sociale se délite devant nos yeux ou pas, voire éclate à notre face...

Les collègues sommes profondément attachés à leur lycée et leurs élèves, dans la limite de comportements tolérables. Certains individus outrepassent les limites acceptables dans un cadre scolaire et remettent en cause la scolarité de la grande majorité de leurs camarades ; il faut d’autres solutions spécialisées pour eux qu’un cadre d’éducation de masse de plus en plus démuni dans lequel ils ne tiennent plus.

Nous n’acceptons pas que le climat continue à se dégrader dans des établissements comme Rostand qui ont par ailleurs de grands points forts, des personnels stables et motivés. Mais nos autorités dépouillent l’éducation nationale, renforcent la misère sociale, et accumulent en permamnence sur les personnels des contraintes nouvelles "à vue", souvent contradictoires, qui les détournent du coeur de leur métier et du travail avec les élèves.

"Normal, pas normal ? - D’autres extraits rédigés par la collègue agressée

Demain, cela fera quinze jours que cette agression s’est passée... Je n’ai plus de marques sur le visage, je n’ai plus mal à la tête... sauf quand je pleure... Je n’aurais pas mal au coccyx, je n’aurais aucun souvenir, physique, de ce qu’il s’est passé... le bébé va bien... c’est une petite fille qui bouge de plus en plus et qui me ramène petit à petit à la réalité d’un avenir plus doux... Bref, je suis « indemne » comme se sont empressés de dire les journalistes dans leurs articles... oui, « indemne »... mais voilà quinze jours que je ne dors pas, ou peu... quinze jours que je pense sans cesse à ce qu’il s’est passé, à mes élèves, à mon éventuel retour au lycée... parce que malgré tout, je l’aime ce métier et j’ai des classes qui m’attendent.

Mais voilà, les interrogatoires au commissariat et les multiples questions posées par mon entourage me font énormément réfléchir sur ce que nous vivons au quotidien au sein de notre établissement. J’adore mon métier et j’aime énormément mes élèves, tout le monde le sait. Mais depuis le début de l’année, nous devons faire face à de plus en plus de situations délicates. L’administration fait ce qu’elle peut, mais les moyens mis à sa disposition se réduisent comme une peau de chagrin. Il faut de plus en plus de paperasse. Le système s’est grippé. Je suis tombée. Ce qui m’est arrivé ce vendredi, aurait bien pu arriver à n’importe quel autre personnel, voire même élève, de ce lycée.

Normal ? Pas Normal ?

Est-il normal qu’un professeur n’ait pas peur lorsqu’un individu cagoulé entre dans sa salle de cours sans frapper, ni dire bonjour ou se présenter ?

Des élèves cagoulés, il y en a tous les jours, jusqu’aux portes de nos salles parce qu’ils ne respectent pas le règlement. Des élèves qui entrent dans nos salles sans y être invités, cela arrive régulièrement (dès le jour de la pré-rentrée en ce qui me concerne. A l’époque, j’ai trouvé cela choquant, sans doute parce que je revenais de vacances et que j’avais oublié ce que c’était. Ce vendredi, c’était « normal ». Un incident de plus, c’est tout. Quant à dire bonjour, on bataille tous en début d’année pour que cette parole, pourtant normale, sorte de la bouche de certains de nos élèves. Alors, se présenter ?!!

Est-il normal qu’un professeur repousse quatre fois le moment de faire l’appel parce qu’il sent que sa classe est susceptible « d’exploser » à tout moment et qu’il vaut mieux garder les élèves « occupés » ?

Est-il si normal que ça de vouloir faire cours à tout prix ? Quitte à monter en salle alors que les couloirs sont enfumés (cf. fumigènes du vendredi juste avant les vacances) et que les élèves sont surexcités.

Est-il normal de réunir dans un même lycée, mais surtout, dans une même classe, des élèves qui avaient été séparés en collège et qui s’étaient vus exclure de leurs établissements à cause de leur attitude en classe ?

Pour la plupart des élèves, le lycée professionnel est un nouveau départ. On y met en place des règles de vie et on essaie de remettre sur pieds des lycéens souvent cassés par le système. Pour la grande majorité d’entre eux, cela fonctionne bien. Dés le retour des vacances de la Toussaint, on sent que cela va aller. Est-il normal cependant de considérer que tous les élèves peuvent repartir de zéro lorsqu’ils entrent au lycée professionnel ? Certains traînent derrière eux des dossiers extrêmement lourds où sont non seulement signalés leurs résultats, mais surtout les problèmes de comportement (agressivité, violence...) Pourquoi devons-nous les tolérer en classe jusqu’à si tard dans l’année ? Pourquoi n’y a-t-il pas de contrats de passés avec ces élèves afin de limiter l’effet néfaste qu’ils peuvent avoir en classe ?

Est-il normal de maintenir dans une salle de classe un élève de ce type qui ne travaille pas et ne remplit pas ses devoirs d’élève ? Cela discrédite le professeur et donne aux autres élèves un sentiment d’injustice lorsqu’on leur demande de se mettre au travail. Pourquoi je travaillerais, moi, puisque lui, on ne lui dit rien ?

Dans un conseil de classe, le mardi précédent, c’est ce que l’on nous avait demandé de faire concernant deux lycéens : "ils ne bougent plus trop, ils ne travaillent pas, mais ils finiront peut-être par s’y mettre" alors qu’on a signalé par écrit qu’ils perturbaient par leur simple présence. Le professeur principal avait même qualifié l’un d’entre eux de « dangereux ». Certains élèves s’étaient plaints de ne pas pouvoir participer en présence des « perturbateurs » (en refusant de prendre des décisions, on pénalise ceux qui veulent travailler, l’ambiance devient exécrable avec le professeur, certains élèves se font insulter en classe...). J’en avais longuement discuté avec le médecin scolaire et l’infirmière. Elles aussi avaient signalé ces élèves auprès de l’administration. Elles aussi craignaient un « accident ». Certains s’étaient même battus dans leur bureau... Mais que faire ?

Ce vendredi, rien que pour absence d’excuses, insultes et refus de travailler, j’aurais pu ou dû exclure cinq élèves. Suite aux remarques faites lors du conseil de classe, je n’ai rien fait. A quoi bon ? Les CED (Commissions éducatives et Disciplinaires) et les CD (Conseils de Discipline) n’avançaient pas. Non pas parce que l’administration ne le voulait pas, mais parce qu’elle avait eu d’autres choses à gérer. A quand l’arrivée de personnel supplémentaire pour la seconder ?

Au quotidien :

Est-il normal que les personnels (professeurs et autres) entendent des cris, voire des insultes proférées à leur encontre, lorsqu’ils traversent la cour ? Cela exaspérait tout le monde avant les vacances, mais personne n’y pouvait rien : nous manquions de surveillants pour pouvoir réagir.

Etait-il normal de monter en salle de classe dans les cris et les insultes ? N’y a-t-il pas de solution à ce problème également ? De plus en plus de collègues pensent à demander leur mutation parce qu’ils ne supportent plus ces incivilités au quotidien. Vous demandez à un élève de bien vouloir retirer sa casquette, mais si vous n’êtes pas son professeur, une fois sur deux, vous êtes au mieux ignorés, au pire, envoyés sur les roses... Cela décourage beaucoup de professeurs à intervenir. Alors qu’il serait si simple d’étendre l’interdiction des couvre-chefs et foulards à l’entrée de l’établissement et non aux bâtiments.

Est-il normal de continuer à faire cours comme si de rien était alors que la porte de votre salle vient d’être violemment ouverte à coups de pieds et cassée par la même occasion ? Les élèves sont choqués, le personnel de la maintenance est présent dans votre salle de cours. Des élèves s’indignent, certains sont même prêts à réagir. Vous continuez votre cours coûte que coûte. Vous êtes blasés, cela fait partie de votre quotidien.

Est-il normal de remettre à un élève, au mois de février, un tout nouveau carnet de correspondance parce que tous les bulletins d’exclusion de cours et d’absence ont déjà été utilisés ? Voire même d’hésiter, lors du conseil de classe, sur la décision ou non d’un conseil de discipline ? Il n’y a plus de garde-fous, et les élèves difficiles en sont conscients. Ils jouent même avec cela, pour certains d’entre eux.

Est-il normal de faire cours à des élèves qui ne relèvent plus d’un système éducatif dit « normal » ? Est-il normal de donner à un collègue qui arrive en remplacement, les mêmes conseils que ceux qui sont donnés aux infirmiers des instituts spécialisés ? Est-il normal de maintenir dans ces classes des élèves qui n’auront pas leur diplôme sous prétexte qu’il n’y a pas de place ailleurs ? Est-il normal de demander aux professeurs d’abaisser leurs exigences (quitte à descendre à un niveau de type CE1-CE2) parce qu’on ne voit pas d’autre solution à notre portée ?

Est-il normal de laisser un professeur décider d’une décision aussi grave qu’est celle d’un dépôt de plainte lorsqu’il est évident qu’il n’en sera pas capable ? Nous travaillons dans un établissement dont le public peut être très difficile parfois. Ne serait-ce pas à l’administration de prendre le relais dans ce genre de cas ? Une semaine avant mon agression, un professeur avait été menacé par un élève de 22 ans. Ca n’était pas sa première intimidation. A 22 ans, ça n’était plus un gamin non plus. Le lendemain, l’élève était au lycée. Le professeur l’a croisé à plusieurs reprises dans la cour et s’est senti très mal. Plusieurs fois nous lui avons dit de porter plainte, ou au moins, de faire une main courante. Mais c’est un fait, un professeur, même agressé comme je l’ai été, se sent coupable au moment de porter plainte. Or, il faut pourtant que les élèves comprennent qu’il y a des limites à ne pas dépasser. On ne les menace pas, on ne les touche pas ; ils ne doivent pas franchir ces limites non plus.

Est-il normal de continuer à envisager la fusion de deux établissements, et le passage à une infrastructure de 2500 élèves, quand il est déjà si difficile d’obtenir des personnels d’encadrement pour un établissement de 1200 lycéens ?

Est-ce donc normal ? Sans doute que oui, parce que je ne suis pas la seule (60 professeurs agressés chaque jour - selon une étude de l’Observatoire National de la Délinquance) et qu’il y en aura d’autres tant qu’on banalisera tous ces actes... "