synthèse de position de SUD Education Yvelines (78)

« Foulard » et école : ébauche de position commune 9 nov. 2003 - version 1.1 proposée par Vincent Smith

0.1 : Le problème lié au port du foulard/voile recouvre de multiples réalités et plusieurs niveaux, qui ne sauraient être résolus dans une rhétorique simpliste. La question divise au-delà de simples clivages politiques ou syndicaux, car elle implique la mise en œuvre simultanée de logiques contradictoires confrontant des réalités de terrain et d’importantes valeurs auxquelles nous sommes fondamentalement attachés. La diversité de positions qui ressort de ce débat au sein même de nos structures SUD Education doit être respectée.

1- Le problème

1.1 - Le débat est régulièrement posé dans les médias suite à des cas individuels de jeunes filles qui, dans leur établissement secondaire, refusent de retirer ou de mettre en retrait leur foulard/voile dans l’enceinte de l’école, ce qui aboutit à une confrontation entre des personnels de l’école et les intéressées : les uns mettent en avant la laïcité écartant des signes religieux ostentatoires à l’école, le symbole de soumission de la femme à l’homme que représente le foulard, la nécessité que chacun sache modérer l’expression de ses croyances et de ses appartenances communautaires pour favoriser la vie commune et le travail collectif à l’école ; les autres clament qu’elles disposent d’une liberté inaliénable de croyance et de pratique religieuse garantie par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, et que l’école ne saurait faire exception à ces principes supérieurs, elles revendiquent par ailleurs ce choix comme une initiative personnelle et libre qui ne peut être comparée à un port contraint du foulard.

1.2 - Lorsque le dialogue n’aboutit pas, les positions se radicalisent et peuvent aboutir à une exclusion de l’établissement, qui fait l’objet d’un second niveau de débat : même si l’on n’est pas d’accord avec le port du foulard, vaut-il mieux exclure les jeunes filles, quitte à les priver de l’enseignement de l’école laïque et au risque de les reléguer dans des écoles confessionnelles, voire à la maison sans école, ou vaut-il mieux les garder dans l’établissement quitte à ce que l’institution perde la face, à ce que le conflit laisse des traces profondes dans les relations entre les uns et les autres, et surtout, au risque que le foulard soit dès lors posé comme un gage de bonne religiosité parmi un certain nombre de familles musulmanes imposant dès lors le foulard à leurs filles, et strimulant le port d’autres signes ostentatoires pour des individus d’autres religions.

2- Analyse du contexte

2.1 - Le problème n’est pas aussi répandu que la pression médiatique pourrait le faire croire : il faut donc prendre le temps de faire la part des choses et ne dramatiser ni dans un sens ni dans l’autre - il ne faut pas se laisser piéger par d’éventuelles rhétoriques du type sécuritaire qui montent en épingle médiatiquement une menace exagérée pour servir des intérêts moins avouables. Il est néanmoins incontestable qu’il existe dans la société (et dans le monde) de multiples formes de radicalisation : un climat de régression sociale, l’éclatement d’identités collectives, le jeu du capitalisme triomphant favorisant un individualisme forcené, l’exacerbation de conflits divers, tout cela conduit à certains replis communautaristes pour retrouver des repères identitaires. Parmi les différentes religions, cela se manifeste par une résurgence ou un développement de comportements religieux régressifs chez certains, s’appuyant sur des rites et des signes plus ostentatoires de leur religiosité et des pratiques plus intransigeantes.

2.2 - Le sujet draine de fortes réactions, et les personnels de l’Education Nationale confrontés à une situation de ce type sont plongés dans un grand désarroi, car la médiatisation caricature leur position et tend à les présenter comme des « intégristes de la laïcité » s’ils s’opposent au port du foulard à l’école, souvent à l’encontre de leurs dispositions naturelles à l’ouverture et au dialogue. Ils sont également soumis à des accusations d’islamophobie par certains, ou font l’objet de tentatives de récupération politique par d’autres.

2.3 - La nécessité d’une loi (concernant uniquement l’école, afin de ne pas stigmatiser toutes les musulmanes portant le foulard dans le cadre d’une sorte de chasse aux sorcières inimaginable) est aussi à discuter. D’un côté, elle éviterait de mettre les personnels des établissements dans une situation intenable où ils sont mis en cause quoi qu’ils fassent, notamment du fait que l’ambiguité juridique actuelle laisse entendre aux intéressées défendant le port du foulard à l’école qu’elles obtiendront gain de cause devant une juridiction européenne. De l’autre, une loi dans le contexte politique actuel, c’est prendre une mesure globale pour seulement quelques cas problématiques isolés, et s’exposer une risque que la droite sécuritaire utilise une loi sur la laïcité pour restreindre davantage de libertés individuelles.

3- Exposé de positions de SUD Education Yvelines (à discuter)

3.1 - En général, le problème se gère bien par le dialogue loin des médias ; c’est ce qui fait que malgré un certain durcissement religieux d’une minorité active de prosélytes religieux, le problème reste marginal et les élèves musulmans à l’école laïque publique ne posent le foulard/voile que très exceptionnellement comme un gage nécessaire de leur foi dans l’école. Il est important de ne pas laisser le foulard/voile se banaliser comme un nouveau gage de bonne religiosité, car ce n’est pas le cas actuellement et cela correspondrait à une évolution régressive, non à une expression normale de la foi musulmane. Identifier foi musulmane à foulard est un raccourci inacceptable : à moins d’être fondamentaliste, on ne peut accuser nos jeunes musulmanes à l’école de n’être pas de bonnes croyantes parce qu’elles ne portent pas le foulard. Par ailleurs, on ne peut nier le rapport de domination de l’homme sur la femme que symbolise le port du foulard/voile, et il n’est pas légitime que l’école accepte la banalisation d’un signe religieux aussi marqué et ostentatoire (et non indispensable à sa libre pratique de la religion).

3.2 - Il n’est pas indispensable de faire une loi sur ce problème ultra-ponctuel, lié à quelques individus ; le dialogue permet de l’éviter, et l’exclusion - qui marque forcément un échec - reste très exceptionnelle. Etant donné leur travail systématique de casse des services publics, il est par ailleurs difficile de faire confiance aux gouvernants actuels pour faire une bonne loi sur la laïcité qui ne soit pas une énième version de leur doctrine répressive et ultra-sécuritaire, ou de leurs dogmes réactionnaires.

3.3 - En revanche, les quelques cas de foulards qui débouchent sur une exclusion relèvent souvent de l’intransigeance des intéressées, qui ont refusé d’intégrer les problématiques collectives de l’école laïque à leur démarche personnelle. Si le foulard est porté librement en dehors de l’école par certaines, ou moins librement par beaucoup d’autres, quasiment tous les croyants à l’école publique ont accepté un principe de modération qui invite chacun à mettre en retrait l’affirmation de sa paroisse, de son clan, de sa foi pour permettre un meilleur travail en commun et une meilleure intégration des individualités diverses par les valeurs de citoyenneté et d’éducation publique égalitaire. Poursuivre cet effort de modération de l’expression de SES croyances pour laisser plus de place à l’autre, favoriser le dialogue et construire une insertion de l’individu dans le collectif est au coeur de la démarche laïque de l’école en France.

3.4 - De surcroît, comment garantir aux jeunes filles à qui aujourd’hui on n’impose pas le port du foulard la liberté de ne pas y être contraint si d’aventure, il devenait acceptable de le porter à l’école. Il faut savoir dire non, poser des limites dans le processus éducatif quand toute autre solution a échoué, car sinon, on livre ensuite les élèves à des limites et des contraintes bien plus oppressives et violentes dans la société. Il s’agit aussi de demander à quelques jeunes filles qui revendiquent le foulard comme marque identitaire de modérer cette marque afin de garantir la liberté de leurs camarades qui risqueraient alors d’être contraintes de porter un signe qu’elles n’ont pas choisi et qui entérinerait leur soumission aux hommes.

3.5 - Contrairement à la rue ou à la télé, où les individualités peuvent se cotoyer sans chercher à dialoguer, sans travailler ensemble, en s’ignorant même, l’école publique laïque impose le travail ensemble, et constitue un apprentissage de tolérance et d’ouverture socialisant ; elle exige de prendre en compte des données collectives. Dans cet espace de modération laïque, prétendre imposer comme gages de bonne religiosité des signes ostentatoires régressifs et superflus évoquant des rapports inégalitaires voire de soumission, sans accepter la moindre concession de modération, tout cela au nom de sa liberté individuelle, c’est poser son désir individuel comme une valeur absolue, une pulsion tyrannique. L’école laïque, publique, égalitaire, ne peut laisser l’affirmation isolée d’un individualisme égo-centrique se poser comme préalable à la relation au sein de la collectivité. L’école laïque, publique, égalitaire, ne peut pas non plus laisser un signe chargé de sens oppressif pour les femmes se banaliser dans l’école, qui jusqu’à présent a permis aux jeunes filles croyantes ou non de s’en affranchir. On ne peut pas se résoudre à réduire les valeurs universelles qui fondent notre ambition sociale collective à une lecture purement individualiste au service d’intérêts particuliers ; il faut mettre en perspective l’équilibre des différents principes fondamentaux de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité dans l’interaction concrète de l’individuel et du collectif.

3.6 - Laisser la religion sous une forme régressive et acricaturale reconquérir l’école comme espace d’affirmation immodérée de ses croyances offre sans doute un pis-aller au déficit de repères et d’identité collective généré par l’individualisme consumériste de nos sociétés, mais cela ouvre aussi la voie aux surenchères fondamentalistes dans le marquage conquérant de sa foi et à l’exacerbation conflictuelle de fondamentalismes concurrents, aux dépens des valeurs citoyennes communes que l’école doit transmettre aux jeunes.

3.7 - Le dialogue, l’écoute, l’échange sont la norme éducative à suivre. Le cas par cas permet aussi d’apprécier les tenants et les aboutissants d’un conflit sur ce sujet et d’y trouver la moins mauvaise issue possible en évitant généralement l’exclusion. Le recours exceptionnel à l’exclusion manifeste l’émergence d’une crise insoluble, d’un conflit ponctuel qui a épuisé le dialogue - et qui est le plus souvent lié à d’autres facteurs qu’une simple problématique religieuse (crise d’adolescence, etc.). Cela constate un échec déplorable et déchirant, mais mieux vaut l’entériner que se masquer les yeux et faire comme si de rien n’était alors que les tensions sont devenues insurmontables et intenables.

3.8 - Cela n’empêche pas de trouver des solutions individualisées ensuite pour une poursuite de scolarité ailleurs, avec un dialogue ré-instauré par d’autres ; l’institution scolaire peut assurer un suivi au-delà de l’établissement. Si on retire complètement cette possibilité à l’établissement en mettant systématiquement dans la balance une condamnation devant la cour des droits de l’homme, alors la question d’une loi se repose ; en effet, à partir du moment où l’exclusion est précédée de tous les efforts possibles pour l’éviter, si elle a lieu c’est que le problème est devenu intenable, et on ne peut pas mettre le feu sous la marmite, laisser la pression monter au maximum, refuser toute soupape de sécurité et espérer qu’on s’en tire avantageusement.

3.9 - Dans nombre de nos écoles des Yvelines, la place des musulmans est très importante, et le voile n’est pas présent pour l’instant, et nous ne voudrions pas qu’en plus des problèmes sociaux existants, on se retrouve avec une résurgence du voile/foulard comme étendard d’une nouvelle forme de religiosité régressive, moins respectueuse des femmes et des enjeux collectifs.

3.10 - L’église, dans le public, a été mise à distance, pour que chacun puisse travailler en commun dans un esprit citoyen ; c’est la moindre des choses d’accepter à l’école de modérer l’expression de ses croyances pour ne pas exacerber des tensions communautaristes. Si on laissait par exemple au Val Fourré les juifs orthodoxes banaliser la kippa d’un côté et de l’autre, les musulmans radicaux faire porter le voile aux filles et marquer eux-mêmes leur orthodoxie, la situation serait ultra-violente et ingérable parce qu’à l’école, ils ne peuvent pas vivre chacun dans leur coin et s’ignorer en attendant de se faire un jour la guerre : ils doivent travailler au quotidien ensemble et faire chacun des efforts pour que ça se passe bien.

3.11 - Tout cela est bien sûr le fruit de situations internationales, de l’explosion de l’individualisme, de l’éclatement du collectif, des inégalités, voire du racisme... Mais ne pas le prendre en compte, et nous intimer à nous les profs de laisser s’exprimer à l’école toutes les intransigeances individuelles quoi qu’il arrive, c’est garantir des conflits permanents et une radicalisation des rapports.

3.12 - Les solutions sont certainement dans la poursuite d’un dialogue et d’une dynamique égalitaire et intégratrice loin des médias et de l’huile qu’ils mettent sur le feu, mais si une exclusion exceptionnelle pour cause d’intransigeance individuelle face à l’exigence collective de modération dans l’espace public laïc est condamnée violemment par nos propres camarades au nom de la liberté d’expression religieuse, on joue avec le feu et on rend la tâche des profs vraiment impossible : c’est alors qu’on rendrait le besoin d’une loi plus pregnant, car sinon, cela légitimerait l’acceptation systématique de toute manifestation ostentatoire de sa religiosité à l’école.

3.13 - Les exemple de sociétés où le port du foulard est banalisé à l’école n’est pas une référence satisfaisante ; en effet, le modèle de laïcité et d’intégration français n’a rien à voir avec des modèles comme l’Allemagne, où les enseignements religieux font partie des cours à l’école et où le port du foulard identifie quasiment systématiquement la jeune fille comme « étrangère » (turque, par exemple). Les sociétés où l’on se satisfait d’un communautarisme séparant des quartiers selon les origines « ethniques » de leurs habitants ne peuvent non plus être un modèle pour nous.

3.14 - En revanche, une loi ciblant spécifiquement le foulard ne résoudra pas les problèmes humains sur le terrain, et pourrait être perçue par les familles dont certaines femmes portent le foulard en dehors de l’école comme une stigmatisation inacceptable. Si le gouvernement ne propose pas des mesures positives favorisant l’intégration de populations d’origine immigrée socialement défavorisées, il légitime un communautarisme visant à s’organiser autrement pour obtenir plus de droits.